Le chômage au Canada avant 1929
En 1918, le gouvernement fédéral adopte une loi pour la création d’un réseau national de bureaux publics de placement. À cette même époque, des syndicats commencent à revendiquer un régime d’assurance-chômage canadien. Le gouvernement leur répond alors que c’est l’économie de marché qui finira par résorber le problème du chômage. Il faut laisser le marché fonctionner sans entraves !
Ce sont les villes qui portent secours aux chômeurs. Le gouvernement fédéral se contente de créer le « Patriotic Fund » qui dédommage les sans-emploi qui ont contribué à l’effort de guerre et il accepte de défrayer le tiers des coûts encourus par les villes pour aider les personnes en chômage.
1929-1939 : La Grande Dépression
À Montréal, la classe ouvrière se mobilise lors de nombreuses manifestations. De plus, elle résiste aux évictions, fait la grève sur les chantiers de travaux publics, se mobilise contre les mauvaises conditions dans les refuges, refuse de payer les factures de gaz, d’eau et d’électricité. L’État répond alors par la répression. Les arrestations, procès, déportations et incarcérations se comptent par centaines. Pour la bourgeoisie, l’Église catholique et les différents paliers gouvernementaux, tout acte de révolte de la part des sans-emploi est perçu comme étant le fruit de l’agitation communiste et fomentée par des éléments étrangers. La grande majorité des rassemblements et des manifestations sont dispersés violemment par la police.
La situation s’enflamme en 1935. Les hommes entassés dans les camps de travail de Colombie-Britannique déclenchent la grève. En mai 1935, les grévistes et leurs alliés entreprennent une grande marche vers Ottawa. Le gouvernement Bennett n’a aucunement l’intention d’accueillir les marcheurs dans la capitale. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) intervient le 1er juillet à Régina et les dirigeants du mouvement sont arrêtés. Après les événements de Saskatchewan, quatre autres marches se mettent en branle à partir de Winnipeg, du nord et du sud de l’Ontario et de Montréal. Dans la métropole, les autorités font tout pour empêcher le départ de la marche. Huit cents policiers sont mobilisés et un «cordon sanitaire» est dressé autour de Montréal et de ses banlieues. Les rassemblements sont interdits partout en ville, même dans les parcs et les terrains de jeux, et ce, pour l’ensemble de l’été. Quelques centaines de marcheurs sont par la suite arrêtés et traduits en justice.
1940 à 1975 : Montée de l’interventionnisme de l’État en matière de chômage
Entre 1940 et 1975, le régime d’assurance-chômage prendra de l’expansion. Il y aura deux réformes majeures au régime. La première, celle de 1955, vient améliorer la couverture des emplois saisonniers et elle inclut d’autres catégories de cotisants et de cotisantes. Soixante-quinze pour cent de la population active est couverte par le régime.
La seconde réforme, basée sur le livre blanc de Bryce Mackasey, met en place la loi de 1971 sur l’assurance-chômage. Cette loi situe le rôle de l’assurance-chômage dans un contexte social et économique global. Le régime est alors universalisé, il s’adresse à 96 % de la population active. Le nombre de semaines de travail exigé pour être admissible est de huit semaines au cours des 52 dernières semaines et le taux des prestations est augmenté de manière significative, c’est-à-dire à 66 % des gains assurables et à 75% pour les prestataires qui ont une ou des personnes à charge. Des prestations spéciales apparaissent (maladie, maternité), mais elles sont accessibles seulement aux personnes ayant travaillé plus de 20 semaines. Les sanctions pour départ volontaire, congédiement pour inconduite et pour refus d’un emploi convenable se traduisent par une perte maximale de trois semaines de prestations. Le délai de carence passe de cinq jours à deux semaines.
1975 à 1988 : Remise en question de l’interventionnisme de l’État en matière de chômage
En 1975, le projet de loi C-69 abolit le taux de prestations à 75 % pour les chômeurs ayant des personnes à charge. Pour les départs volontaires et l’inconduite, la durée maximale de l’exclusion double pour atteindre six semaines.
En 1977, le projet de loi C-27 instaure la norme variable d’admissibilité. Désormais, le nombre de semaines de travail requis pour être admissible aux prestations variera selon le taux de chômage régional. On crée aussi des mesures actives d’emploi à même le régime d’assurance- chômage (formation professionnelle et nouveaux programmes de sauvegarde ou de création d’emplois). C’est à ce moment que l’État commence à utiliser l’argent de la caisse à d’autres fins qu’à l’indemnisation pour la perte d’un emploi. Le détournement de la caisse ne date pas d’hier.
En 1978, le projet de loi C-14 resserre les critères d’admissibilité : il faudra dorénavant accumuler plus de semaines de travail pour se qualifier. Le taux de prestations est diminué à 60 %.
C’est autour de ces années que plusieurs groupes de défense des droits des chômeurs et des chômeuses font leur apparition au Québec. Leurs interventions étaient particulièrement basées sur l’action politique directe.
De 1980 à 1988, il y a peu de modifications au régime d’assurance-chômage. Plusieurs rapports sur le régime ont été produits durant cette période. Ils préconisent le désengagement de l’État, soit un régime plus flexible et concurrentiel afin de s’adapter au nouveau contexte du libre-échange. Ces rapports, qui ont fait l’objet d’opposition des mouvements syndical et populaire, se sont retrouvés sur les tablettes.
1988 à 2006 : Le début de la fin… la domination du libre-échange et du néolibéralisme
En 1990, le gouvernement sabre fortement dans le régime d’assurance-chômage. La réforme C-21 augmente l’exclusion des travailleurs et des travailleuses et accentue le caractère répressif de la loi. Le Congrès du travail du Canada (CTC) évalue, à cette époque, que 130 000 sans-emploi ne seront plus admissibles aux prestations, dont 44 000 au Québec. Par ailleurs, l’État se retire complètement du financement de la caisse (son financement avait toujours été tripartite: État, personnes salariées, employeurs). Cette réforme, tellement contestée et dévastatrice, fut bloquée au Sénat pendant plusieurs mois, mais fut finalement adoptée en octobre 1990.
Dès 1993, le gouvernement conservateur lance une nouvelle réforme, le projet de loi C-113. Une fois de plus, on coupe! Le taux de prestations passe de 60% à 57% de la moyenne salariale. Ce projet de loi fait aussi et surtout en sorte que les personnes perdent désormais le droit aux prestations régulières à la suite d’un départ volontaire «non justifié» ou d’un congédiement pour «inconduite». C’est à la liberté de travail même que l’on s’attaque.
En 1996, les libéraux décident qu’il faut abolir le chômage (au moins au niveau du langage) et concluent qu’il faut d’abord éliminer les chômeurs et les chômeuses. Ils s’attaquent, avec le projet de loi C-12, à ceux et celles dont la position est la plus vulnérable sur le marché du travail (emplois précaires: temps partiel, sur appel, saisonniers, etc.). C’est l’instauration de mesures comme le «dénominateur» et la «période de base», dont la conséquence sur le montant de prestations est de pénaliser financièrement les prestataires. De plus, en considérant les heures de travail plutôt que les semaines pour se qualifier aux prestations de chômage, l’État exige plus du double de temps de travail pour être admissible. Les effets de cette réforme n’ont pas tardé à se faire sentir… Malgré l’arrivée de 500 000 nouveaux cotisants et cotisantes à la caisse, la couverture du régime (alors à 80%) tombe de moitié (environ 40%) et la caisse d’assurance-chômage libère des surplus que le gouvernement va détourner.
Pour l’État, le régime d’assurance-chômage devient une véritable mine d’or qu’il va piller sans ménagement au détriment des travailleurs et des travailleuses. S’il fait parfois des promesses, c’est pour mieux ne rien faire et ne rien régler des véritables problèmes que sont:
- les critères d’admissibilité trop élevés;
- la durée des prestations trop courte;
- la façon dont les prestations sont calculées;
- le faible taux de prestations accordé;
- les exclusions.
Ces réformes opérées dans les années 1990 dans le régime d’assurance-chômage ont heurté de plein fouet les chômeurs et les chômeuses. Elles ont également eu des effets importants sur l’ensemble du marché du travail en exerçant une pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail. Voilà donc un des héritages de l’application des politiques découlant de l’offensive capitaliste.
Le détournement de la caisse d’assurance-chômage
Lors de la création du régime d’assurance-chômage canadien en 1940, la caisse est financée par les cotisations des travailleurs et des travailleuses, des employeurs et par l’État à parts égales. De plus, le gouvernement donne une somme supplémentaire équivalente à 20% du total des cotisations des employé.e.s et des employeurs en plus d’assumer les coûts de fonctionnement du régime. La caisse d’assurance-chômage est un compte spécifique à même les revenus généraux du Trésor (Fonds du revenu consolidé). Dans la loi sur l’assurance-chômage, il est spécifié que la caisse doit servir au versement de prestations et que les sommes ne peuvent pas être utilisées à d’autres fins.
En 1993, la caisse est en déficit et le gouvernement fait de nouvelles réductions de dépenses dans le régime (projet de loi C-113). Le déficit, qui est causé par le retrait de l’État du financement de la caisse, servira d’argument pour justifier les nouvelles coupures. Les libéraux qui sont alors dans l’opposition contestent les modifications au régime, tout comme ils s’opposent à l’ALÉNA (adoptée le 27 mai 1993) et à la taxe sur les produits et services (TPS). Lorsqu’ils sont portés au pouvoir, ils présentent une nouvelle vague de compressions à l’assurance-chômage (projet de loi C-17) et conservent la TPS. La caisse d’assurance-chômage a commencé à produire des surplus et le détournement de l’argent des chômeurs et des chômeuses s’est accentué.
À partir de 1996, les surplus ne cesseront de s’accumuler pour frôler les 60 milliards en 2009. Cet argent a été siphonné de la caisse d’assurance-chômage, donc de nos poches. Afin de faire miraculeusement disparaître le surplus, le gouvernement fédéral crée au printemps 2008 l’Office de financement de l’assurance-emploi.
Malgré un recours devant les tribunaux entrepris par deux syndicats en 1996, la Cour suprême du Canada a néanmoins jugé, à l’automne 2008, que le gouvernement pouvait user de ces sommes comme bon lui semble. C’est donc dire que la lutte au déficit et à la dette s’est faite principalement à partir des contributions des travailleurs et des travailleuses d’un océan à l’autre.
Un renversement complet
Les modifications apportées dans le régime par les conservateurs et les libéraux ont réduit la protection des personnes salariées contre le risque de chômage. Bien que le régime ait été mis sur pied spécifiquement pour dédommager les travailleurs et les travailleuses qui perdent leur emploi, le gouvernement, voyant dans la caisse d’assurance-chômage une «poule aux œufs d’or», a adapté le régime aux exigences du capitalisme sauvage et du libre-marché. Son discours est que le chômage relève de la responsabilité de l’individu et non de l’État!
Dans la vraie vie, non pas dans les fantasmes, promesses, visions et élucubrations des barbares capitalistes, plusieurs citoyens et citoyennes travaillent à rabais, dans des conditions de plus en plus difficiles, de peur de se retrouver avec rien. Non seulement on est loin d’une société où s’épanouir devrait être la règle, mais le résultat est souvent une détérioration de la santé, tant au niveau mental que physique, une perte de confiance, un repli sur soi, un isolement…
Les réformes des années 1990 jumelées aux baissessubséquentes du taux de cotisation permettront bientôt à l’État de nous dire qu’il est impossible de bonifier le régime. S’il y a une barrière à la bonification du régime, elle n’est pas économique mais bien politique. L’État a complètement dénaturé l’objet initial du régime d’assurance-chômage. Cette dénaturation n’a pas été imposée par la situation économique, elle a été prescrite par les décideurs du marché mondial pour qui le bien-être des peuples est le dernier des soucis. Seule compte la maximisation des profits. Ça, c’est le capitalisme. ¹
Les années Harper : le dernier saccage
Parallèlement, le gouvernement Harper a entrepris d’importants changements au niveau administratif, en imposant le « tout à l’Internet ». Il est en effet de plus en plus difficile, pour un prestataire, de parler à un être humain. La réorganisation des services et l’abolition de centaines de postes de fonctionnaires à Service Canada ont contribué à créer l’une des pires crises que l’on ait connues à l’automne 2011 et l’hiver 2012; il n’est pas rare que des gens ayant perdu leur emploi aient eu à attendre jusqu’à trois, parfois même cinq mois avant d’avoir une simple réponse à leur demande initiale de prestations. C’est comme si le gouvernement voulait que les gens finissent par être tellement écœurés qu’ils se détournent du régime d’assurance-chômage.
C’est au printemps 2012, dans la foulée du budget présenté par le ministre des Finances Jim Flaherty, que la ministre Diane Finley a présenté son plan de saccage du régime d’assurance-chômage. En vertu de cette réforme, chaque prestataire est désormais tenu de chercher activement et d’accepter un emploi à des conditions moindres que son emploi habituel, à un salaire pouvant aller jusqu’à 70 % de sa rémunération antérieure et dans un domaine n’ayant dans bien des cas rien à voir avec son expérience et sa formation. Dorénavant, le droit à l’assurance-chômage ne dépend plus uniquement des antécédents de travail d’un salarié, mais aussi de son historique d’utilisation du régime. Les « prestataires fréquents » (travailleurs et travailleuses dont l’emploi est saisonnier ou à statut précaire) sont particulièrement visés mais au final, c’est l’ensemble de la classe ouvrière canadienne qui subira une pression à la baisse sur les salaires.
Le bon côté de la chose, si on nous permet l’expression, c’est que cette réforme a suscité un vaste mouvement d’opposition. Après une quinzaine d’années pendant lesquelles la question de l’assurance-chômage était pratiquement disparue du radar sur la scène politique canadienne, des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses se sont mobilisés pour dire NON au saccage de l’assurance-chômage ! Il n’en tient qu’au mouvement ouvrier, aux groupes de chômeurs et chômeuses et à leurs alliés, de faire en sorte que cette mobilisation et cette colère débouchent enfin sur une réforme globale et la remise en place d’un régime qui garantira à « toute personne le droit à la protection contre le chômage », comme le veut la Déclaration universelle des droits de l’homme.
¹ Ce texte est une version modifiée par le MAC de Montréal d’un texte écrit par le MASSE et paru dans la brochure « Les sans-chemise se mobilisent ».